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17th December - 17th January 2016
solo show at Silicone, Bordeaux
«...Il existe une idée de Patrick Bateman, une espèce d’abstraction, mais il n’existe pas de réel juste une entité, une chose illusoire et, bien que je puisse dissimuler mon regard glacé, mon regard fixe, bien que vous puissiez me serrer la main et sentir une chair qui étreint la vôtre, et peut-être même considérer que nous avons des styles de vie comparables, je ne suis tout simplement pas là.»
Bret Easton Ellis, American Psycho
ed. Robert Laffont p. 497

Avec Background (Monday to Sunday) Deborah Bowmann tend, par cette série consacrée au fantasme, à la gloire et l’attitude en tant que posture extra commerciale, à s’imposer en tant que marque autonome déliée des objets qu’elle présente, recherchant ainsi, elle aussi, une l’auto-célébration permanente. [...]


«...Il existe une idée de Patrick Bateman, une espèce d’abstraction, mais il n’existe pas de réel juste une entité, une chose illusoire et, bien que je puisse dissimuler mon regard glacé, mon regard fixe, bien que vous puissiez me serrer la main et sentir une chair qui étreint la vôtre, et peut-être même considérer que nous avons des styles de vie comparables, je ne suis tout simplement pas là.»
Bret Easton Ellis, American Psycho
ed. Robert Laffont p. 497

Deborah Bowmann, duo composé des artistes français Amaury Daurel et Victor Delestre, revient pour la première fois à Bordeaux, ville symbolisant leur terre d’origine, ville qui les a vu grandir et s’essayer aux premières expérimentations.
Deborah Bowmann revient comme un revirement stratégique, comme un judicieux choix marketing cherchant à affiner et radicaliser sa communication. C’est la cravate nouée autour du cou et le corps shooté à la caféine que les deux artistes dissimulés sous un nom sonnant tel celui d’une multinationale arrivent et nous présentent l’exposition “Back in ten minutes” où est présentée la collection « Backgrounds (Monday to Sunday) » composée d’une série de 7 pièces murales.
Deborah Bowmann tend, par cette série consacrée au fantasme, à la gloire et l’attitude en tant que posture extra commerciale, à s’imposer en tant que marque autonome déliée des objets qu’elle présente, recherchant ainsi, elle aussi, une l’auto-célébration permanente.
L’exposition “Back in ten minutes”, chez Silicone, du 17 décembre 2015 au 17 janvier 2016, présente une de ce qui semblent être sept tableaux abstraits mélangeant différents tissus du costume trois-pièces classique: blazer, cravate et chemise. Au premier abord, nous pouvons voir ici des réminiscences sorties tout droit de l’histoire de l’art français des années 1960. Proche de la dimension décorative du mouvement support/surface, ces oeuvres, réalisées à partir de tissus de costume agissent comme une mise-à-plat de l’uniforme de l’entrepreneur ou du commercial lambda, des fonds devant lesquels nous pourrions, malgré nous, poser.
Pourtant ce jeu référentiel n’est que partiel et c’est plutôt du côté de Carlos Ghosn, Jérôme Kerviel voire, et le lien n’est que fortuit, vers Xavier Broseta que tendent ces œuvres.Si les stratégies entrepreneuriales font usage de l’art contemporain dans leur vitrine comme présentoir pour leurs derniers objets, si les jeunes chargés de communication pensent des publicités s’inspirant des grandes heures de l’art des années passées, alors il ne tient qu’aux artistes de produire de nouveaux objets à l’aide, par exemple, de la mue de ces squamates au sourire éclatant. En plus de la récupération esthétique, il s’agit, dans le cadre de « Backgrounds (Monday to Sunday) » d’appliquer les méthodes tapageuses de communication commerciale à l’oeuvre d’art. Ici réside peut-être la puissance de cette nouvelle collection, plus radicale et plus offensive que les précédentes. Deborah Bowmann place face à face la production sérielle d’oeuvre d’art à celle de la reproduction à grande échelle de l’objet manufacturé.
Les deux artistes font se confronter la logique commerciale du capitalisme tardif avec la posture et la production artistique. Ils ne font pas qu’emprunter son esthétique, mais font se confronter l’histoire de l’art, sur laquelle chaque jeune artiste capitalise, et la posture du jeune entrepreneur cherchant à se faire une place dans le monde des affaires et des consommateurs à coups de répétitions esthétiques et discursives entêtantes, obsédantes. Dans la continuité des autres productions Deborah Bowman, ces oeuvres oscillent entre l’objet d’art et l’objet fonctionnel, en l’occurrence, l’objet de communication meublant la vitrine littéralement du magasin. C’est à l’image vide de sens, au stéréotype publicitaire, à l’emblème creux, que fait référence cette série.
Le tableau devient un simple décor au même titre que des photographies lambdas décorant la salle d’attente d’un PDG, le carton d’emballage de téléphone portable ou le fond-photo pour interview sportive. Tout ceci se déroule dans la continuité du mobilier produit par les deux jeunes artistes. Mobilier-oeuvre semi-autonome, proche également de ce que l’on trouve dans les vitrines des plus grandes marques. Objet polymorphe, objet fétiche autant qu’accessoire. Il nous faut envisager ces tableaux d’un point de vue fonctionnel comme nous pourrions nous servir d’un socle ou d’une table basse. Si nous nous intéressons au titre de l’exposition lui même, “Back in ten minutes”, nous pouvons, en plus du lien explicite avec le message potentiellement laissé sur un post-it, envisager ces oeuvres comme temps-mort d’un art absent. Les artistes tendent ici à produire des formes simples, propres et impersonnelles.
L’économie de l’oeuvre, l’économie du produit, son origine, ses contraintes, sont dissimulés derrière des couleurs, textures et formes destinées au consommateur, quelque part entre l’art minimal et l’image de communication publicitaire. Nous sommes face à cette série comme face à une production d’usine qui ne laisserait transpirer aucun sentiment et aucune personnalité. Le travailleur est décomposé et conceptualisé dans une forme . Pourtant, il ne nous faut pas comprendre ceci comme une posture uniquement répulsive et profanante.
Ceux qui suivent le travail de Deborah Bowmann ont déjà pu les voir en roller et costard distribuer leurs cartes de visite dans les rues d’Amsterdam. L’entrepreneur, c’est également eux, proposant une production d’oeuvres d’art en séries et collections. Dans un élan aussi sérieux qu’humoristique, ils tendent à redéfinir les codes et symboles du monde entrepreneurial, se situant dans un entre-deux aussi riche que dangereux : artistes critiques d’un monde intraitable, mais qui tentent également d’en retenir sa meilleure part. La capacité à se projeter, à séduire et à trouver son autonomie.
La toile du tableau, emblème de l’art, est arrachée et remplacée par la froideur sombre et autoritaire du costume. Tout comme Patrick Bateman, l’art lui-même n’est tout simplement pas là. Ce qui nous fait face n’est rien d’autre que la révélation d’un piège qu’il ne tient qu’à nous de déjouer. Le motif d’un trois-pièces bien ajusté, la forme abstraite faussement loquace et la photographie d’emballage clignotent comme des alertes, l’objet présent devant nous est illusoire. Deborah Bowmann, par le biais de cette exposition, nous invite à nous questionner sur l’économie derrière le vide de l’oeuvre présentée comme simple fond, comme simple fonction.


Jean-Baptiste Carobolante


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